Un nouveau rapport de la Banque mondiale et de la Facilité mondiale pour la prévention des risques de catastrophes et le relèvement (GFDRR) vient d’être publié en décembre 2016 : « Unbreakable: Building the Resilience of the Poor in the Face of Natural Disasters« / « Indestructible : Renforcer la résilience des plus pauvres face aux catastrophes naturelles« . L’étude Unbreakable propose une nouvelle mesure des dommages provoqués par les catastrophes naturelles, qui intègre la charge disproportionnée de ces événements sur les pauvres non seulement au plan économique mais aussi en termes de bien-être. Par ailleurs, ce rapport insiste sur le fait que des interventions ciblées renforçant la résilience peuvent protéger les plus pauvres contre les intempéries et aider les pays et les communautés concernées à économiser 100 milliards de dollars par an.
1. Les efforts visant à réduire la pauvreté et les risques de catastrophes sont complémentaires
Des estimations portant sur 89 pays indiquent que s’il était possible d’empêcher toutes les catastrophes naturelles l’année prochaine, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 1,90 dollars par jour) chuterait de 26 millions. L’impact sur la pauvreté est donc très important car les pauvres sont plus souvent exposés aux aléas, perdent une plus grande proportion de leur richesse lorsqu’ils sont touchés, et bénéficient d’un moindre soutien de la part de leur famille et de leurs amis, des systèmes financiers et des autorités. En outre, comme les catastrophes peuvent faire basculer des gens dans la pauvreté, la gestion des risques peut être considérée comme une politique de réduction de la pauvreté. Inversement, comme les politiques de réduction de la pauvreté rendent les gens moins vulnérables, elles peuvent être considérées comme des politiques de gestion des risques.
Exemple 1 : entre 2006 et 2011, 45 % des ménages pauvres sont sortis de la pauvreté au Sénégal, mais 40 % des ménages non pauvres y sont tombés, si bien que le taux de pauvreté y est demeuré quasiment identique. Les risques naturels ont contribué à cette absence de progrès : les ménages touchés par une catastrophe naturelle étaient en effet 25 % plus susceptibles de tomber dans la pauvreté au cours de cette période (Dang et al. 2014).
Exemple 3 : En Éthiopie, après la famine de 1984-85, il a fallu une décennie pour que les élevages de la plupart des ménages pauvres retrouvent leur taille d’avant la famine (Dercon 2004).
2. Les pauvres sont particulièrement touchés par les catastrophes naturelles pour cinq raisons :
- Plus grande vulnérabilité : La vulnérabilité des personnes (pertes subies par les personnes touchées) est également un facteur important. Lorsque les pauvres sont frappés, la part de richesse qu’ils perdent est deux à trois fois supérieure à celle perdue par les non-pauvres, principalement en raison de la nature et de la vulnérabilité de leurs possessions et de leurs moyens de subsistance. Une analyse globale indique que les pauvres vivent deux fois plus souvent que le reste de la population dans des habitations précaires dites « fragiles ».
- Surexposition : Les pauvres sont surexposés aux inondations dans de nombreux pays, comme au Panama et au Zimbabwe, où ils sont plus de 50 % plus susceptibles d’en être victimes que le reste de la population. On observe également une telle surexposition aux sécheresses et aux hautes températures dans de nombreux pays. Mais surtout, les pauvres sont souvent exposés à des événements fréquents et de faible intensité tels que les inondations récurrentes dans les villes ne disposant pas d’infrastructures de drainage adaptées. Ces événements n’attirent pas l’attention des médias et sont peu documentés mais leurs impacts cumulatifs peuvent se révéler considérables, en particulier sur la santé.
- Moindres capacités à faire face et à se relever : L’impact des catastrophes naturelles sur le bien-être dépend également de la capacité des personnes à les affronter et à s’y adapter, qui dépend du soutien qu’elles reçoivent. Souvent, la protection sociale couvre faiblement les pauvres, voir pas du tout ou très longtemps après une catastrophe. Et après avoir été frappés par un choc, ces derniers ne bénéficient pas du soutien dont disposent les plus riches.
Exemple : suite aux inondations et aux glissements de terrain qui ont eu lieu au Népal en 2011, seulement 6 % des très pauvres ont sollicité le soutien des autorités contre près de 90 % des plus riches (Gentle et al. 2014)
- Impacts permanents sur l’éducation et la santé : Les catastrophes obligent les ménages pauvres à prendre des décisions qui ont des conséquences préjudiciables à long terme, par exemple l’interruption de la scolarité d’un enfant ou la réduction des dépenses de santé. Dans ce type de situation, les enfants sont souvent les principales victimes (Kousky 2016).
Exemple : Au Guatemala, l’ouragan Stan a accru de plus de 7 % la probabilité de travail des enfants dans les zones où il a sévi (Bustelo 2011).
Au plus fort de la famine éthiopienne, les enfants de moins de trois ans étaient moins susceptibles d’achever le cycle d’enseignement primaire, ce qui s’est traduit par des pertes de revenus de l’ordre de 3 % (Dercon et Porter 2014)
Au Pérou, le séisme d’Ancash, survenu en 1970, a eu des impacts sur le niveau d’instruction des enfants dont les mères avaient été touchées à la naissance, ce qui démontre que les conséquences des grandes catastrophes peuvent aussi se répercuter sur la génération suivante (Caruso et Miller 2015).
De telles conséquences irréversibles sur l’éducation et la santé peuvent renforcer la transmission intergénérationnelle de la pauvreté.
- Conséquences sur les comportements en matière d’épargne et d’investissement : Les catastrophes et les risques naturels ne maintiennent pas seulement les personnes dans la pauvreté en raison des pertes qu’elles provoquent. L’impact d’une catastrophe se ressent avant même qu’elle ne survienne (ODI et GFDRR 2015).
Exemple : les petits exploitants agricoles tendent à planter des cultures à faible risque et faible rendement car ils ne peuvent pas se permettre de perdre une année de production en cas d’intempéries, si bien que leurs revenus s’en trouvent réduits même en cas de conditions météorologiques favorables (Cole et al. 2013). Et il est compréhensible que les gens réduisent leurs investissements dans leur logement ou dans des équipements de production si ceux-ci peuvent être détruits chaque année par une inondation.
3. Les catastrophes naturelles accentuent la pauvreté mondiale
Il est donc possible de réduire la vulnérabilité aux risques naturels en prenant des actions en faveur du développement et de la réduction de la pauvreté : celles-ci permettent aux personnes de s’établir dans des lieux plus sûrs, de rendre leurs moyens d’existence et leurs possessions moins vulnérables et de bénéficier des outils et de l’appui nécessaires pour affronter les chocs. Ainsi, les politiques contribuant à réduire la pauvreté peuvent être considérées comme des politiques de gestion des risques. Cependant, le lien qui unit la pauvreté et les risques de catastrophes est à double sens, dans la mesure où il est plus difficile pour les personnes d’échapper à la pauvreté si elles sont frappées par des catastrophes. Par conséquent, la gestion des risques peut également être considérée comme une politique de réduction de la pauvreté
4. Les catastrophes naturelles ont un impact bien plus fort sur le bien-être que ce que suggèrent les analyses économiques
En effet, une évaluation séparée des risques a été conduite pour les pauvres et les personnes aisées, définis respectivement comme les 20 % des personnes consommant le moins et les 80 % consommant le plus dans chaque pays. L’analyse tient compte d’une part, de la variation de l’inégalité entre les pauvres et les personnes aisées face aux catastrophes et d’autre part, de la répartition des pertes entre les personnes. Les pertes concentrées sur des personnes moins nombreuses ou plus pauvres ont un impact plus important que lorsque ces mêmes pertes touchent des personnes plus riches ou si ces pertes sont partagées par une population plus large.
Bien qu’ils n’encourent qu’une faible proportion de pertes économiques provoquées par les catastrophes, les pauvres en souffrent de manière disproportionnée. A partir d’estimations sur la résilience socio-économique dans 117 pays, en incluant dans cette analyse la manière dont la pauvreté et le manque de capacités pour faire face aux catastrophes amplifient les pertes en termes de bien-être, il s’avère que les effets des inondations, des tempêtes, des séismes et des tsunamis sont équivalents à une diminution de consommation de l’ordre de 520 milliards de dollars par an dans le monde, soit une perte 60 % supérieure aux pertes matérielles généralement reportées. C’est pour cette raison que les projets de gestion des risques ne devraient pas être conçus uniquement en fonction des pertes matérielles qu’ils permettent d’éviter. En effet, le ciblage des personnes pauvres par des interventions de réduction des risques (par exemple, avec digues et systèmes de drainage) se traduirait par des gains moins élevés en matière de pertes matérielles évitées, mais plus élevés sur le plan du bien-être.
5. Les impacts des catastrophes naturelles sur le bien-être sont plus importants que les pertes matérielles
Les Cartes ci-dessus illustrent les estimations du présent rapport en matière de résilience socio-économique et de risques posés au bien-être. Ce dernier diminue à mesure que le revenu des pays augmente. Ce déclin est principalement dû à une meilleure protection contre les inondations, une meilleure qualité des bâtiments et aux systèmes d’alerte répandus dans les pays les plus riches, mais la résilience joue également un rôle.
La figure 2 (ci-dessous) montre également que la résilience augmente en général en parallèle avec le PIB par habitant. Ainsi, a résilience socio-économique mondiale moyenne s’élève à 62 % et varie de 25 % au Guatemala à 81 % au Danemark, ce qui signifie qu’une perte matérielle de l’ordre de 1 dollar au Guatemala a le même impact sur le bien-être qu’une réduction de 4 dollars de la consommation nationale.
Que les pays riches soient plus résilients que les pays pauvres n’est pas surprenant. Cependant, la résilience présente également de fortes variations entre des pays d’un niveau de richesse semblable car elle dépend de nombreux autres facteurs, notamment l’inégalité et la protection sociale.
Figure 2 : La résilience socio-économique tend à augmenter en même temps que les revenus tandis que le risque posé au bien-être diminue
La mesure de la résilience socio-économique utilisée ici saisit en partie la définition de la résilience selon les Nations Unies : la capacité de résister aux conséquences d’un aléa, de les absorber, de s’y adapter et de s’en relever de manière rapide et efficace. Cependant, elle ne couvre pas tous les domaines abordés par la recherche sur la résilience.
- les impacts humains directs (décès, dommages corporels et impacts psychologiques)
- les pertes culturelles et patrimoniales (destruction des biens historiques)
- la déstabilisation sociale et politique ainsi que la dégradation de l’environnement (lorsque les catastrophes endommagent des installations industrielles et engendrent une pollution locale).
Afin d’obtenir une vision plus large de la résilience, il est utile de prendre également en compte des indicateurs reposant sur des méthodologies différentes et s’attachant à d’autres aspects de la résilience.
6. L’intérêt ne porte pas seulement les bénéfices générés par un projet mais également sur les personnes qui en bénéficient
Pour évaluer les bénéfices potentiels des projets qui protègent les populations contre les risques, on peut prendre 2 exemples
- un premier exemple permettant de réduire de 5 % la part de la population exposée à des aléas naturels ; dans ce cas, uniquement 20 % des plus pauvres seraient ciblés dans chaque pays. Si le monde entier mettait en œuvre ce projet, le montant des pertes matérielles évitées s’élèverait à 7 milliards de dollars par an. En revanche, les gains de bien-être à l’échelle mondiale s’élèveraient à 40 milliards de dollars car l’intervention bénéficierait aux personnes pauvres et très vulnérables.
- un deuxième exemple permettant également de réduire de 5 % la part de la population exposée aux aléas naturels, mais qui ciblerait uniquement les 80 % les plus riches. Comme ces personnes disposent de beaucoup plus de biens que les pauvres, le montant des pertes matérielles évitées serait beaucoup plus élevé, de l’ordre de 19 milliards de dollars environ. En revanche, les gains de bien-être seraient inférieurs, s’élevant à 24 milliards de dollars.
Où de telles politiques seraient-elles les plus intéressantes ?
- En termes absolus, réduire l’exposition des pauvres aux aléas apporterait le plus de bénéfices dans les pays de grande taille et à risque élevé (Figure 3a).
- Mais en termes relatifs et pour le bien-être, il est plus efficace de réduire l’exposition des pauvres dans les pays où leur protection sociale et leur accès à la finance sont limités (Figure 3b).
Ces résultats mettent en avant les compromis entre les gains monétaires et les gains de bien-être. Si un budget de réduction des risques de catastrophe est alloué uniquement en fonction des pertes matérielles évitées et des bénéfices monétaires, la plupart des investissements seront orientés vers les zones riches. Cependant, les investissements dans la gestion des risques doivent trouver le bon équilibre entre le besoin d’efficacité économique et l’impératif de protéger les plus pauvres et les plus vulnérables. Mesurer les bénéfices en termes d’augmentation du bien-être plutôt que de pertes matérielles évitées – comme cela est proposé ici – est un moyen d’y parvenir. La même approche peut également être adoptée au sein d’un même pays, afin d’identifier les priorités régionales et locales.
Exemple : Suite au cyclone Aila ayant frappé le Bangladesh en 2009, une enquête menée sur 12 villages de la côte sud-ouest a révélé que 25% de familles pauvres vivant dans ces villages ont été touchés par ce cyclone alors que seulement 14% des autres catégories socio-économiques ont subi des dommages (Akter et Mallick 2013)
7. Le renforcement de la résilience est indispensable
Malgré les efforts déployés pour réduire l’exposition aux aléas naturels ou la vulnérabilité des biens à ces aléas, il n’est pas possible d’éliminer complètement les risques naturels. Les catastrophes continueront non seulement à se produire, mais elles pourraient aussi devenir plus fréquentes sous l’effet du changement climatique, de l’urbanisation, et de l’augmentation de la densité de population dans les zones côtières. Il est donc crucial de compléter les actions visant à réduire l’exposition et la vulnérabilité par un renforcement de la résilience. La gestion des risques doit développer des outils diversifiés pour différents types de catastrophes et de population (Figure 4).
-
Diversification des revenus. La diversification des revenus, les envois de fonds des migrants, et les transferts monétaires dans le cadre de programmes sociaux aident les ménages à affronter les petits chocs, quel que soit leur niveau de revenu. Les personnes souffrent moins d’une catastrophe locale si une partie de leurs revenus, sous la forme de transferts publics ou d’envois de fonds, ne provient pas de cette zone.
-
Inclusion financière. L’inclusion financière aide les plus pauvres à épargner sous des formes moins vulnérables aux aléas naturels que l’épargne en nature, par exemple sous forme de têtes de bétail ou d’un logement, et permet de diversifier les risques. Elle rend également possible l’accès au crédit en vue d’accélérer et d’améliorer la reconstruction.
- Assurance privée. L’assurance privée peut apporter une protection contre les pertes plus importantes. Cependant, de nombreux obstacles freinent les efforts visant à fournir un accès universel à l’assurance (faiblesse des capacités institutionnelles et juridiques), ainsi que les questions de coûts, en particulier pour les pauvres.
- Protection sociale adaptative. Pour les ménages pauvres, et afin de couvrir les chocs les plus importants, il est nécessaire de mettre en place une protection sociale capable de réagir aux chocs. Si les systèmes de protection sociale améliorent la résilience des populations, on observe aujourd’hui qu’ils ont encore plus efficaces lorsque leur ciblage est suffisamment souple pour transférer rapidement des ressources aux victimes d’une catastrophe. Les transferts post-catastrophes présentent un ratio bénéfices-coûts supérieur à 1,3 dans les 117 pays étudiés. Et dans 11 d’entre eux (Afrique du Sud, Angola, Bolivie, Botswana, Brésil, Colombie, Honduras, Lesotho, Panama, République Centrafricaine et Zambie), chaque dollar dépensé dans le cadre de transferts post-catastrophes apporte des bénéfices en matière de bien-être supérieurs à 4 dollars
Des réponses rapides aux chocs via les programmes de protection sociale existants peuvent s’avérer particulièrement efficaces pour prévenir les urgences humanitaires et réduire les coûts d’intervention.
- Financement des risques de catastrophe. Ces types de programme de protection sociale adaptative augmentent les dépenses sociales après les chocs, ce qui peut poser problème pour certains gouvernements. Il faut donc prévoir en parallèle des mécanismes de financement, comme des fonds de réserve (pour les catastrophes de faible ampleur) ou s’en remettre à des lignes de crédits conditionnelles (comme les Cat-DDO proposés par la Banque Mondiale), des mécanismes régionaux de partage des risques (comme le Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility), ou des produits de réassurance ou de transfert des risques aux marchés financiers (comme le FONDEN au Mexique) (Mahul et Ghesquiere 2007). Grâce à ces outils, les États peuvent soutenir les populations touchées. De plus, lorsqu’ils sont associés à de la préparation institutionnelle et à des plans de contingence, ces outils peuvent accélérer la reconstruction, et réduire ainsi les pertes globales (de Janvry, del Valle et Sadoulet 2016).
Les politiques qui renforcent la résilience des personnes, de façon à les rendre capables d’affronter les conséquences des catastrophes qui n’ont pu être évitées, pourraient permettre d’économiser 100 milliards de dollars par an. Cependant, même si les actions de réduction des risques présentent un fort potentiel, le risque zéro n’existe pas. Ainsi, améliorer l’inclusion financière, les assurances maladie et celles contre les risques de catastrophes, la protection sociale, les fonds de financement et de réserve en cas d’imprévu, et l’accès universel aux systèmes d’alerte permettrait également de réduire les pertes. Si tous les pays mettaient en œuvre de telles politiques dans un « ensemble de mesures de résilience », le gain de bien-être serait augmenté.
Sources et liens :
Banque Mondiale, communiqué de presse 14 novembre 2016
Banque Mondiale, actualités 14 novembre 2016
Rapport Banque Mondiale, »Undestructible, Renforcer la résilience des plus pauvres face aux catastrophes naturelles » (Résumé en français)
Une réflexion sur “Catastrophes naturelles et pauvreté : Renforcer la résilience”